001. chapitre premier
379 AC + Melleah frôle la mort en sauvant Ellon Greyjoy. Sévèrement handicapée, capable de ne se battre plus que d'un bras, elle se débat tant bien que mal, et est finalement ramenée à bord d'un navire, saine et sauve, à l'article de l'inconscience, par ce même Ellon Greyjoy. Elle rejoint alors l'équipage de ce dernier.
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Ellon lui tend une main. Melleah, le cul posé sur le pont, se relève sans l'attraper. Ça fait des semaines, maintenant, qu'elle navigue au côté du Greyjoy. Et elle n'a pas l'air de tenir à se lier d'amitié avec lui. Question de respect. Question de barrières. Question de limites. Des limites qu'elle s'impose à elle-même. Il est Ellon Greyjoy, futur roi des Îles-de-Fer, elle n'est que Melleah Pyke, la bâtarde d'un Lord à moitié décrié.
« -
Tu souriras, un jour, Pyke, tu souriras. Il lui lance avec un franc sourire.
-
C'est ça, oui... »
Elle maugrée dans sa barbe en jetant son épée dans un tas. Une grimace illumine brièvement son visage. Sa main droite vient agripper son poignet gauche. Elle ne sent qu'à moitié ses phalanges, depuis cette fameuse bataille. Un bras entoure ses épaules sans crier gare.
« -
Tu préfères retourner faire du tricot auprès de papa, peut-être ? -
C'est une idée...-
Pardon ? J'ai mal entendu.-
Je t'emmerde.-
Eh bah voila, c'est comme ça qu'on te préfère, Pyke ! Allez. Ramasse-moi ça. J'en ai pas fini, de botter ton joli petit cul. »
Il lui adresse un clin d’œil et attrape les deux côtés de sa tête pour poser un bisou sonore sur son front. Sans lui, elle ne se serait jamais remise. Sans lui, elle n'aurait jamais survécu à la mer. Sans lui, elle n'aurait jamais regagné l'usage de ses mains.
Sans lui, elle aurait abandonné.
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394 AC + Lord Farwynd tombe gravement malade. Ses cinq bâtards se réunissent à son chevet. Déjà, dans les couloirs, on annonce une guerre entre eux.
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Assise à table, la joue appuyée contre son poing, Melleah observe ses frères et sœurs babiller sur les vœux de leur père, sur ce qui devrait être fait, ou ce qui ne devrait pas l'être. Il n'est même pas encore mort que les vautours survolent déjà sa carcasse. Le spectacle qu'ils offrent est déplorable.
«
Il n'est pas encore mort. Il pourrait même se remettre. »
Elle coupe court à toutes les discussions et repousse sa chaise, lasse d'avoir à les écouter spéculer. Elle a des choses plus importantes à faire, des raids à organiser, des cargaisons à préparer, des hommes à entraîner...
«
Père a besoin de nous. Arrêtez donc de vous chamailler, et dépensez votre énergie à des choses plus utiles. »
Melleah soupire. Elle n'avait jamais pensé à ces questions de succession, avant aujourd'hui. En vérité, il lui paraît tellement évident que Lonely Light lui revient, qu'elle ne juge même pas utile de s'étendre sur le sujet. Elle est l'aînée, la favorite de son père, et une guerrière émérite de la flotte fer-née. C'est
son droit.
Son héritage.
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395 AC - IL Y A DEUX SEMAINES + La mort de Lord Farwynd laisse ses bâtards en guerre de succession. Melleah part en raid sur les côtes nordiennes. Son jeune frère, Arion, s'autoproclame Lord Farwynd et profite de son absence pour asseoir ses positions à Lonely Light. Bannie de son fief, Melleah rumine mais n'attaque pas : le soutien apporté par Payton Harlaw à la légitimation d'Arion l'en empêche. Et pour cause, il ne manquerait plus qu'une simple histoire de bâtards finisse par déclencher officiellement une guerre interne au sein des Îles-de-Fer... Melleah s'y refuse, trop droite et trop loyale à Jaena Greyjoy pour entamer des hostilités qui pourraient lui nuire.
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«
Pardon ?... Il a quoi ? »
Les paumes s'abattent sur le bois massif de la table et balayent ce qui s'y trouve d'une colère déflagrante. La cadette recule pour éviter la projection d'un verre, mais ne se laisse pas intimider par les éclats de sa sœur. Les bras croisés sur sa poitrine, elle paraît réfléchir aux issues potentielles du conflit.
« -
Retourne à Pyke. Parle à la reine Jaena. Demande-lui son soutien. -
Non. Il n'en est pas question. Et puis, qui suis-je pour lui demander quoi que ce soit ?-
Fais un effort Melleah ! Par tous les dieux ! Tu pilles pour elle, tu combats pour elle, tu navigues pour elle, tu fais tout pour elle ! »
Les mains de la cadette claquent à leur tour contre le chêne. L'une en face de l'autre, les sœurs se jaugent d'un air mauvais. Les phalanges gauches de l'aînée cramponnent la mâchoire qui se contracte. Le regard ne baisse pas. La défiance est maintenue, belliqueuse et effrontée. On montre les canines.
« -
Tu la fourailles même. Elle siffle entre ses dents avec la moitié d'un sourire malsain.
Ça serait la moindre des choses. -
Un peu de respect... »
Les doigts tentent d’asseoir leur pression, mais commencent à trembler furieusement. La cadette finit par les attraper pour les porter à ses lèvres et y déposer un tendre baiser. Tout ce temps, les pupilles ne quittent jamais les pupilles. L'aînée saute par dessus la table pour rejoindre sa sœur de l'autre côté.
« -
Désolée. Tu sais bien que j'ai du mal à contenir ma jalousie. Minaude-t-elle.
-
Tu m'exaspères.-
Tu aimes ça. »
Pour seule réponse, elle l'étend sur la table.